THE CLUB ON THE AIR

 

meilleurs voeux

 

"CONSEILS " AVANT L'OUVERTURE

TEMOIGNAGE (df). Telle la couleur du cheval blanc d'Henri IV, l'ouverture imminente d'un établissement hors normes comme le New Morning a déstabilisé un temps le milieu des professionels genevois de la nuit - salles de concerts, dancings, associations, cabarets... Cela m'a valu moult mises en garde, sarcasmes et même quelques tentatives d'intimidation... C'est de l'histoire ancienne mais ma mémoire conserve vivace le souvenir du feu roulant des questions-réponses échangées avec une connaissance qui "me voulait du bien", patron de fraîche date de la cave la plus huppée de la vieille ville, for VIPs only:

- "C'est donc vrai, tu ouvres un club - quelle mouche t'a piqué ?

- Mon appart est devenu trop petit pour les jams que mes potes ont pris l'habitude d'organiser dans ma cuisine depuis mon retour des Etats-Unis.

- Je ne vois pas le rapport.

- A l'époque, j'étais veilleur de nuit dans un hôtel de la rue des Alpes. En passant devant l'hôtel mes camarades me faisaient un petit coucou. De fil en aiguille, ce petit monde a pris ses quartiers dans la minuscule réception de l'hôtel... Un soir tard, au moment de rentrer chez lui, le propriétaire de l'hôtel (charmant personnage, Grec d'Alexandrie...) s'est attardé quelques instants pour écouter les accords feutrés du guitariste puis s'en est allé en souhaitant une bonne nuit à tout le monde. Le lendemain il m'a demandé de le rejoindre au bar. "Daniel me dit-il, je vous apprécie beaucoup; vos amis sont sympas et même excellents musiciens. Mais je dirige un hôtel, pas une école de musique. J'avais prévu de vous donner votre congé à la première réclamation d'un client du premier étage. Mais à ce jour aucun client ne s'est plaint de nuisances sonores venant de la réception. Bravo. Il faut le faire. Ce n'est pas rien... A votre place, je démisionnerai de mon poste et me mettrai immédiatement en chasse d'une adresse où recevoir mes amis. Votre voie est de ce côté. N'hésitez pas - j'ai plusieurs remplaçants pour reprendre votre poste.

"En sortant de l'hôtel aux aurores, je me suis engouffré dans la première cabine téléphonique pour réveiller ma complice Adriana: "Tu ne devineras jamais. J'ai quitté l'hôtel. Je cherche une salle pour y installer mon club". Silence au bout du fil puis au moment où elle raccrochait: "Retrouvons-nous au Chiquito à midi. Tu me raconteras tout ça". Midi n'était pas le bon moment, elle servait deux clients en même temps, galopait dans tous les sens et m'a juste soufflé en me regardant droit dans les yeux :

"C'est bon, j'ai ta salle..."

- De quelle salle parlait-elle ?

- De celle où nous nous trouvons. C'est la buvette du marché aux puces couvert attenant. Je la loue de 18h à minuit. Le gérant, Yvan Grivel, n'avait pas d'objection à ce que j'installe cette petite scène et une sono.

- Qui programmeras-tu ?

- Les musiciens du coin que je connais...

- Et qui viendra les écouter ?

- Ils font partie de groupes confinés dans leurs caves draînant chacun deux ou trois cent fans.

- C'est tout ?

- J'inviterai aussi les groupes de jazz de la région.

- Ce qui t'a amené à demander une subvention...

- Non. Le bar couvrira les frais

- Le bar ? Tu as racheté une patente pour l'alcool ?

- J'ai bon espoir de pouvoir m'en passer.

- Comment ça ?

- Je n'ouvre pas un bistrot mais un espace culturel. Les espaces culturels sont autorisés à tenir une buvette servant de l'alcool avant, après et à la pause des concerts.

- De quel budget disposes-tu pour la promotion, les affiches, la pub ?

- Je ne l'ai jamais caché : je n'ai aucun budget

- Tu ouvres sans publicité ?

- Sans publicité mais beaucoup de bouche à oreille.

S'en était trop pour mon interlocuteur qui s'était rapproché de moi sur la banquette. S'étant assuré qu'aucune présence indiscrète ne rôdait dans les parages, il a commencé à me chuchoter à l'oreille - on se serait cru dans "Le Parrain" - comme s'il s'agissait de secrets d'état:

- Je suis content de parler avec toi car qui oserait , à part moi, te dire tout haut ce que la profession pense tout bas? Je le fait car je sais que tu es artiste jusqu'au bout des ongles; j'ai vu tes films, on m'a raconté comment tu as convaincu les Grateful Dead de venir jouer gratuitement en France... De ton côté, tu sais que depuis quelques temps je fais partie du cercle intime du... des... enfin, tu sais qui... pour qui j'ai ouvert la cave dont ils sont devenus, vu l'importance de leur entourage, l'unique clientèle.

- Je suis au courant. J'attends que tu m'invites pour venir passer un début de soirée chez toi...

- Bon. Je t'ai écouté attentivement; je crois même que je t'ai compris sans quoi je serai déja parti sans te faire profiter de mon expérience...

- Je t'écoute...

- Je n'ai pas besoin de te dire que la compétition te reproche de te lancer à la légère dans une aventure qui fera du tort à l'image de la profession...

- C'est tout ?

- Ta volonté de te passer d'argent public n'est pas du goût des associations qui sollicitent des subventions pour compenser les pertes de leur programmation.

Quoi d'autre ?

- Reste ce que je considère comme un devoir : te dire, après avoir examiné la question sous toutes ses coutures... que... que...

- C'est à dire ... ?

- Ton local offre 50 places assises, ce qui représente une capacité max de 80 entrées les grands soirs. Pour tourner, tu devrais vendre 80 billets à Frs25.- quatre fois par semaine avant même que les clients puissent approcher du bar. Tu me suis ?

- Continue.

- Avec, à l'affiche, tes groupes confinés jusque-là dans leurs caves, ce serait du jamais vu. Et ta soirée d'ouverture ? Tu sais mieux que moi que tout se joue à ce moment. C'est de cela que je voulais te parler. Avec les moyens dont tu disposes... euh...comment dire...

- Dis-le comme tu le sens...

- ... ne compte pas, pour ton inauguration, sur plus de 25-30 curieux attirés par le bouche à oreille. Mais iI est encore temps de t'arrêter...tu ne m'en veux pas d'être aussi franc...

Je m'étais levé pendant qu'il terminait sa phrase - je crois bien que c'est la dernière fois que je l'ai vu.

Et la chute de toute cette histoire me demanderez-vous ? J'y arrive. Figurez-vous qu'une semaine plus tard, pour l'ouverture du New (c'était le 1er avril 1977), une foule de 500 personnes encombrait le quai dès 16h. Le reste est de l'histoire... 


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