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orgue de barbarie

 

New Morning, pleins feux sur un mythe qui dure


Trois jours de concerts filmés, documentaires et photos ont célébrés du 5 au 7 août 2011 à l'Astor Film Lounge les 30 ans d’âge du New Morning, institution du jazz née dans la Cité de Calvin. Par Michel Barbey.

Le Temps. J’imagine qu’entre la musique et vous, c’est une longue histoire d’amour ?

Daniel Farhi. Affirmatif. Natif du Caire où j'ai vécu mes dix-huit premières années, j’ai grandi dans une bulle sonore où se mêlaient le chant du muezzin, la voix d’Oum Kalçoum, la symphonie des klaxons, les choeurs des églises coptes, arméniennes, grecques orthodoxes, etc. Mais c’est à la radio que je dois ma première expérience de communication instantanée. Le Caire, ça avait beau être le bout du monde : les ondes de la radio, elles, étaient cosmopolites, elles nous rendaient contemporains des gens de New York, de Londres, d’un peu partout. C’était une mondialisation réussie.

- Qui a rendu moins abrupte votre arrivée à Genève ?

- J’y suis venu au début des années 60 pour mes études universitaires. L’accueil a été bon, mais quelque chose ne collait pas avec ce qui pour moi faisait la richesse de la vie. La sociabilité y était un peu coincée. C’est aussi pour retrouver cette convivialité que j’ai ouvert, bien plus tard, en 1977, ce qui n’était d’abord que le « Petit New », une salle de 80 places qui a rencontré un succès immédiat. Du coup, le propriétaire du lieu nous a proposé la grande salle d’à côté, qui devait devenir un marché aux puces couvert.

- Un marché aux puces dont vous avez fait un temple du jazz ?

- J’étais plutôt porté sur le folk, le rock, Dylan, mais c’était trop cher. Le jazz était financièrement au creux de la vague. Je m’en sentais alors un peu exclu, imaginant toutes sortes de cloisonnements. Ce sont les musiciens de jazz eux-mêmes qui m’ont mis à l’aise:  « Ne va surtout pas croire que le jazz est une chapelle… ».

- Il n’était pas rare d’apprendre par une affichette que Dizzy Gillespie ou McCoy Tyner joueraient… le soir même : c’était du délire, non ?

- A l’époque un tourneur pouvait engager un musicien pour un mois, lui verser un salaire, et s’efforcer de lui trouver le plus de dates possibles, parfois juste pour payer sa chambre d’hôtel !

- Ce qui explique qu’on pouvait parfois entendre la même semaine Bill Evans, Art Blakey, Stan Getz et Archie Shepp ?

- Exactement. Et puis les musiciens apprécaient l’accueil presque familial qu’ils recevaient ici. Un jour je suis allé chercher Chet Baker à la gare. « Où est ton orchestre ? – Il va arriver, ne t’en fais pas. J’aimerais dormir un peu, je suis fatigué ». Je l’ai conduit à la maison, il s’est affalé sur mon lit. Je l’ai réveillé une demi-heure avant le concert, lui disant que l’orchestre n’était toujours pas là. « Les gens ne sont pas venus pour entendre un pianiste ou un bassiste. Je vais faire le concert moi-même ». Il a soufflé dans sa trompette et chanté pendant plus de deux heures – absolument seul sur son tabouret ! Le public était scotché.

- Vous célébrez les 30 ans du New Morning de Paris, qui a succédé à celui de Genève, et qui est devenu aujourd’hui une institution …

- Comme toute institution, celle-ci a sa préhistoire : Genève, ça a été l’embrasement, le big bang, qui ne peut pas durer éternellement. Dexter Gordon et d’autres musiciens nous ont mis en garde contre la lassitude du public, forcément restreint ici. « Allez à Paris », nous disaient-ils chaque fois.

- Ce festival de trois jours, c’est un cadeau aux nostalgiques d’ici ?

- La nostalgie, c’est une défaite. J’aimerais que ce soit un cadeau pour le présent : une mélodie en sous-sol, qui envoie des ondes vers la surface.

- Des retrouvailles tournées vers l’avenir ?

- Vers les nouvelles technologies audiovisuelles. Elles sont un défi incontournable et une source d’opportunités pour la survie les clubs. J’y travaille depuis une quinzaine d’années. J’aimerais passer le témoin, mais que ce passage puisse déboucher sur quelque chose comme un « re-New », sous une forme sans doute très différente. J'imagine un studio de télévision où seraient programmés des concerts gratuits pour le public, filmés et diffusés sur une chaîne musicale spécialisée, et donc financés par ce biais.

- Un virage vers le cinéma ?

- Mais c’était ma première passion ! Dès 1978, j’avais proposé à la TSR de filmer les concerts du New Morning au quai des Forces Motrices : elle m’avait prié de repasser, parce qu’à l’époque cela supposait une technologie très lourde. Aujourd’hui les choses ont complètement changé. J'ai produit un catalogue de 400 heures de concerts et documentaires, d’où proviennent les films qui seront présentés durant le festival. A la vitesse où changent les choses, je suis persuadé que, dans le paysage actuel si formaté, il y a de nouvelles formes de sociabilité à inventer.

- Le blues du retraité, une bonne blague ?

- S’il n’y avait pas de miroir chez moi, j’aurais l’impression que je suis au tout début de l’aventure.

Propos recueillis par Michel Barbey
(Service) Projection, les 5, 6 et 7 août à l’Astor Film Lounge (17 rue de la Corraterie, Genève) de concerts (Clark Terry, John Scofield, Larry Carlton…), documentaires (Ray Brown, Joe Zawinul, « La grande aventure du New Morning », « Echoes Of Woodstock »…), exposition de photos, diaporama, etc.
 

 


 

 

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